Grossesse & tabac : comment mieux informer et orienter les couples fumeurs ?

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À l'occasion de la Journée mondiale sans tabac, du 31 mai, il est important de rappeler que le tabagisme pendant la grossesse demeure un enjeu, encore trop souvent entouré de tabous et d’idées reçues. La prise en charge s’avère complexe en raison de l’accès limité aux consultations en addictologie, du sentiment de culpabilité des patientes et des idées fausses persistantes.

Face à ces freins, des initiatives se développent pour mieux soutenir les femmes, les couples et les futurs parents dans une approche bienveillante, fondée sur les connaissances scientifiques et les réalités du terrain. Exemple avec ADDIMAT, une application interactive et innovante portée par le service d’addictologie de l’hôpital Antoine Béclère.

Témoignage du Dr Marion Adler, médecin généraliste et tabacologue, praticien hospitalier, chef de service de l’ELSA et des consultations d’addictologie à l’Hôpital Antoine Béclère (Clamart 92)

Pourquoi est-il essentiel pour les femmes enceintes fumeuses d’être accompagnées ?

L’accompagnement ne commence pas au début de la grossesse pour s’arrêter à l’accouchement, nous couvrons toute la période périnatale : du désir de grossesse au post partum etc. De nombreuses femmes enceintes ont conscience des risques liés au tabac et se sentent très coupables de fumer pendant la grossesse. Il est donc essentiel de les informer, sans les culpabiliser, afin de leur expliquer les bonnes pratiques et comment limiter les risques.

Par exemple, il est important que le ou la partenaire ne fume pas à proximité. En effet, ce n’est pas la nicotine mais bien la fumée de cigarette, et en particulier le monoxyde de carbone qu’elle contient, qui est nocive. Cela s'appelle le tabagisme passif.

Pourquoi intervenir pendant la grossesse et en périnatalité ?

La cigarette libère du monoxyde de carbone, une substance particulièrement dangereuse pour le fœtus et la femme enceinte. Contrairement à une idée répandue, ce n’est pas la nicotine en elle-même qui est toxique pour le bébé, mais bien les composants de la fumée.

Le monoxyde de carbone réduit l’oxygénation du fœtus, freine son développement et augmente les risques de complications pendant la grossesse.

En revanche, la nicotine, lorsqu’elle est administrée à la bonne dose via des substituts (comme les patchs, les gommes), peut aider à maintenir une bonne oxygénation sans les dangers de la fumée. Il est donc préférable d’avoir recours à des substituts nicotiniques sous surveillance médicale ou non, que de continuer à fumer.

Par ailleurs, la consommation de tabac a également un impact négatif sur la fertilité, tant chez les femmes que chez les hommes, toujours en raison du monoxyde de carbone. À noter que ce dernier disparaît de l’organisme environ 24 heures après l’arrêt de la cigarette.

Quels obstacles rencontrent les femmes enceintes dans leur parcours de soin ? 

Aujourd’hui, les femmes enceintes ont un accès très limité aux consultations d’addictologie. Certaines hésitent à parler de leur consommation de tabac, par peur du jugement ou par oubli. De plus, les services d’addictologie sont souvent saturés, et tous les hôpitaux ne disposent pas de professionnels formés spécifiquement à l’accompagnement des femmes enceintes.

Pour répondre à cette problématique, l’équipe de l’hôpital Antoine Béclère a participé à un appel à projets du Fonds de lutte contre les addictions afin de développer un outil accessible : une application destinée à accompagner les femmes enceintes et les couples dans la gestion de leurs consommations avec des propositions pratiques de traitements adaptés, et à déconstruire les idées reçues.

Face à ce constat, quelle solution avez-vous mise en place avec l’équipe de l’hôpital Antoine Béclère ?

À la suite de notre participation en 2021 à l’appel à projet « Fonds de lutte contre les addictions » de l’Agence régionale de santé Île-de-France, nous avons eu l’occasion de développer « ADDIMAT », une application interactive et innovante à destination des femmes enceintes, des femmes allaitantes, des conjoints, et des couples en désir d’enfant.

Cette application a pour objectif d’informer, d’accompagner et d’orienter les patientes (et patients) dans leur démarche de réduction ou d’arrêt de consommation. Elle est accessible à tous et toutes, même sans suivi de grossesse à l’hôpital Béclère. L’objectif de cette plateforme est justement d’être diffusé auprès de toutes les personnes qui se poseraient des questions sur sa consommation de tabac en lien avec une grossesse. 

Dès la première connexion, un auto-diagnostique est proposé. Il permet d’identifier les besoins de la personne, d’évaluer le niveau de risque et, si nécessaire, de la rediriger vers un professionnel de santé, par exemple en cas de consommation d’alcool pendant la grossesse. Si aucun danger immédiat n’est détecté, l’application fournit des conseils personnalisés, évalue les besoins en substituts nicotiniques, et oriente vers les ressources adaptées.

Qui a contribué à la création de l’application ADDIMAT ?

L’ensemble de notre service a été mobilisé pour construire une application réellement utile et bienveillante. Infirmiers, sages-femmes, coordinatrice du service, cheffe de projet, médecins et moi-même avons travaillé ensemble pour répondre aux questions les plus fréquentes rencontrées en consultations exprimées par les patients. L’objectif était clair : offrir un soutien accessible, non culpabilisant, et fondé sur les connaissances médicales les plus récentes.

Notre volonté est aujourd’hui d’étendre cette application à d’autres publics vulnérables et pour cela, nous sommes disposés à travailler en collaboration avec toutes les équipes qui voudraient prendre part au projet. 

 

Grossesse et tabac : deux idées reçues

  • « La nicotine est dangereuse pour le bébé » : Faux. Ce qui est dangereux, c’est la fumée de cigarette. La nicotine, utilisée sous forme de patchs ou de substituts adaptés, peut être bénéfique pour le sevrage sans risque pour le fœtus.
  • « On ne peut pas fumer avec un patch » : Faux également. Une femme enceinte a parfois besoin d’un apport plus important en nicotine pour éviter les symptômes de manque. L’association ponctuelle de substituts et d’une consommation résiduelle n’est pas risquée si elle est encadrée médicalement.