Entretien avec le Dr Gaëlle Abgrall, psychiatre, responsable de la Cellule d'urgence médico-psychologique de Paris et d'Île-de-France et responsable du SAS psychiatrie de Paris.
Quel est l’objectif du SAS psychiatrie mis en place au SAMU de Paris ?
Ce dispositif est né d’un constat sans appel : les appels à tonalité psychiatrique sont nombreux, complexes, et souvent mal orientés. Avant sa mise en place, 80 % d’entre eux aboutissaient à un passage aux urgences hospitalières. Or, ce n’était ni toujours justifié, ni satisfaisant pour les patients ou les équipes. En 2021, grâce à un appel à projets du Fonds d’innovation organisationnelle en psychiatrie (FIOP) et au soutien de l’ARS Île-de-France, nous avons lancé une expérimentation qui s’est pérennisée. Depuis deux ans et demi, nous déployons une ligne psychiatrique dédiée au sein du SAMU, disponible tous les jours de 8 h à minuit.
Comment fonctionne cette ligne ?
Elle s’intègre pleinement à la logique du SAS. Lorsqu’un appel au 15 concerne une problématique de santé mentale, le médecin régulateur généraliste peut nous transférer la régulation. Nous intervenons pour affiner l’évaluation, écarter les urgences somatiques et construire une réponse adaptée. L’équipe comprend deux psychiatres et 9 infirmiers spécialisés. Le binôme médecin/infirmier permet une réponse fine, qui va du simple conseil à la mobilisation d'un SMUR, en passant par une orientation vers une structure de soins.
Quels types de situations vous sont confiées ?
Les motifs les plus fréquents sont les idées suicidaires, les crises d’angoisse, les troubles du comportement, les épisodes délirants. Les appels viennent en majorité des proches de patients, puis des patients eux-mêmes et enfin de professionnels (CMP, généralistes, services sociaux…).
Avez-vous la possibilité d’intervenir sur le terrain ?
Oui, et c’est là une des spécificités fortes du dispositif. En 2024, nous avons réalisé 167 interventions à domicile, contre 45 en 2023. Nous intervenons seuls ou en binôme avec les pompiers, selon la situation. Nous collaborons aussi avec les CMP quand il s’agit de patients connus, pour éviter les ruptures de parcours. En cela, nous sommes le premier dispositif à proposer des interventions à domicile directement à partir de l’appel au 15, sans passer par un service d’urgence intermédiaire.
Quelles sont vos perspectives de développement ?
Nous espérons passer à une couverture H24, car la demande est forte. Nous avons recruté récemment un nouveau praticien hospitalier, et nous renforçons notre maillage avec les structures de secteur. L’activité progresse fortement : nous avons reçu 4300 appels en 2024, dont 2400 ont donné lieu à des rappels sortants, pour organiser un suivi ou trouver une solution. Cette logique de suivi est essentielle : certains infirmiers prennent en charge des patients de bout en bout. Et les résultats sont là puisque désormais les orientations vers les services d'urgences ne sont plus que de 30% après le travail du SAS psy.
Ce modèle est-il transposable dans d’autres départements ?
Absolument, et il commence à l’être. Le 93 a déjà engagé un projet similaire. Le 94 est également en phase de déploiement et bientôt le 92. C’est un modèle exigeant, mais qui a fait ses preuves. Les retours des familles, des généralistes, mais aussi des urgentistes sont très positifs. Ils disent qu’ils se sentent moins seuls, qu’ils ont une ressource fiable et rapide. C’est une autre manière de penser l’urgence psychiatrique : plus humaine, plus réactive et mieux connectée au terrain.