Semaine de la sécurité des patients – zoom sur les événements indésirables graves associés aux soins (EIGS)

Actualité

Les événements indésirables graves associés aux soins (EIGS) constituent un thème de préoccupation majeur pour les pouvoirs publics mais aussi pour les usagers et professionnels de santé. Il est important de les déclarer et les analyser afin de comprendre les raisons de leur survenue et trouver la façon d’éviter qu’ils se reproduisent.

Qu’est-ce qu’un EIGS ?

Un événement indésirable grave associé aux soins (EIGS) est un évènement inattendu au regard de l’état de santé et de la pathologie de la personne et dont les conséquences sont le décès, la mise en jeu du pronostic vital, la survenue probable d’un déficit fonctionnel permanent, y compris une anomalie ou une malformation congénitale (art. R. 1413-67 du décret n° 2016-1606 du 25 novembre 2016.

L’ARS Île-de-France a reçu au 18 octobre 741 EIGS en 2023. L’estimation au 31 décembre est de 1000 EIGS soit une augmentation de 33% par rapport à 2022.

Ces EIGS doivent être déclarés sans délai via un volet 1. L’établissement devra déclarer son volet 2 dans les 3 mois.

Quel est le rôle de l’ARS sur ces EIGS ?

L’ARS Île-de-France est destinataire des événements indésirables graves associés aux soins de son territoire.

A réception du volet 1, elle recherche le risque de reproductibilité immédiate et la réponse qu’y apporte l’établissement, d’où l’importance de bien décrire « ce qui a été constaté » et les mesures prises immédiatement (pas uniquement pour atténuer les conséquences pour le patient mais pour éviter sa reproduction immédiate chez d’autres patients lorsqu’une cause évidente est repérée). A ce stade, l’établissement peut demander le soutien d’une structure régionale d’appui pour analyser son événement ou l’ARS peut lui proposer d’y avoir recours. En Île-de-France, cette structure est la STARAQS : Structure d’Appui Régionale à la Qualité des soins et à la Sécurité des patients.

A réception du volet 2, l’ARS s’assure de la qualité de l’analyse, de la maitrise du risque et de la reproductibilité par le suivi des actions, des recommandations. Si l’ARS considère disposer de tous les éléments, l’EIGS sera clôturé et automatiquement adressé à la HAS pour une analyse nationale.

L’ensemble des EIGS déclaré sur le territoire constitue une base de données permettant la réalisation de bilans régionaux et ainsi réaliser des retours d’expérience.

Une démarche de progrès

La déclaration des événements indésirables graves associés aux soins (EIGS) reste primordiale et réglementaire afin de tirer des leçons des erreurs, d’identifier et de corriger des causes identifiées pour améliorer les pratiques et la sécurité du patient.

Plusieurs méthodes d’analyses existent et la méthode ALARM est une des méthodes conseillées par la Haute Autorité de Santé.

Les analyses collégiales permettent de renforcer la culture et la sécurité des soins, d’améliorer la qualité de vie au travail. Lors de ces analyses, il est primordial de détecter les traumatismes car le soignant, ayant été impliqué dans l’évènement inattendu, peut être lui aussi une victime ainsi que les autres patients qui peuvent être présents lors de l’évènement : on parle alors de seconde victime. Il convient de réaliser un débriefing pour permettre à chacun de s’exprimer et de proposer un accompagnement adapté.

Il est important d’identifier si l’évènement implique une vigilance sanitaire et il sera possible de transmettre une déclaration conjointe à l’ARS et à l’autorité compétente via le portail.

Il convient également de bien préparer une annonce d’un dommage associé aux soins car une communication en urgence et dans un lieu inapproprié est risquée. 

Focus sur la situation en Île-de-France des parcours des maladies rénales chroniques

Durant la période 2020-2023, 31 EIGS ont été déclarés à l’ARS Île-de-France pour des patients pris en charge pour maladies rénales chroniques. 26 EIGS concernent un évènement en cours de dialyse et 5 portent le parcours de greffes rénales. 

Ces EIGS sont principalement liés à des causes profondes en relation avec les tâches à accomplir (protocole indisponible ou non adapté, résultats complémentaires non disponibles…) et avec le patient (personnalité complexe, antécédents…).

Quelles sont les conséquences de ces EIGS ?

  • Le décès du patient (45%)
  • La mise en jeu du pronostic vital (35%)
  • Un probable déficit fonctionnel (20%)

Parmi les établissements ayant déclaré un EIGS, 72 % avaient mis en place des actions préventives qui ont fonctionné. Par exemple, la mise en œuvre d’un protocole en cas d'infection du pansement par le médecin, qui a permis d'atténuer la gravité des conséquences. Dans 80% des établissements, les actions préventives n’ont pas pu empêcher la survenue de l’évènement (non fonctionnement de l’alarme du générateur par exemple).

Enfin parmi les 31 EIGS, 19 EIGS ont fait l’objet d’une déclaration concomitante de vigilance : 

  • 9 pour la matériovigilance (absence de sécurité sur générateur, défaut de détection du générateur sur de la variation de pression, absence de possibilité de vérification de la fonctionnalité du matériel de conservation du greffon)
  • 8 pour la pharmacovigilance (allergie à un médicament, erreur de dosage)
  • 2 pour la biovigilance (perte de greffon).

Parmi les EIGS déclarés sur le parcours des maladies rénales chroniques, les établissements déclarent que :

  • 35% des patients ont reçu une information sur le dommage associé aux soins 
  • 58% de leurs proches

Le pourcentage d’EIGS dont ni le patient, ni un proche n’a été informé est de 13%.

Annoncer à un patient qu’il a été victime d’un accident ou d’une erreur au cours d’un soin est un moment compliqué pour les professionnels de santé, qui s’accompagne le plus souvent d’une forte charge émotionnelle. La Haute Autorité de Santé a élaboré plusieurs outils à disposition des établissements : guide d’accompagnement, vidéo de formation.

Décryptage de 3 événements des parcours des maladies rénales chroniques

Madame D. âgée de 67 ans, suivie par le Dr O. en consultation pour une néphropathie tubulo-interstitielle chronique lié au médicament. La patiente refusait le traitement par hémodialyse et sa réticence à démarrer le traitement par des séances d’hémodialyse n’a pas permis à l’établissement d’anticiper la réalisation d’une fistule artério veineuse. Madame D. venait pour sa séance d’hémodialyse sur cathéter central et était stressée par son infection COVID. Elle est installée en box et elle est branchée par Madame F, une infirmière avec une expérience de plus de 10 années en hémodialyse. Au bout de 5 minutes, l’infirmière constate que l’état de madame D s’est aggravée et qu’elle a fait un malaise.   Le médecin est appelé et constate que la branche veineuse du cathéter est désadaptée. Le générateur n’a pas sonné. La patiente, Madame D est en arrêt cardio respiratoire. Elle décèdera malgré les gestes d’urgence vitales. Les proches ont été reçu par un médecin et le cadre de santé.

Que retenir de l’analyse ?

L’établissement a procédé à une analyse pluriprofessionnelle de l’évènement selon la méthode ALARM (chef de service, médecins, cadres de santé, personnels du service qualité, pharmaciens, personnels de l’équipe opérationnelle d’hygiène, infirmiers.)
Les professionnels ont conclu à une spoliation sanguine suite à une mauvaise manipulation proximale sur la ligne veineuse. 
L’établissement a également procédé à une déclaration de matériovigilance du KT de dialyse en raison d’un doute sur le pas de vis défectueux. A ce jour sans réponse
L’évènement s’est déroulé lors d’un changement d’équipe. L’infirmière était anxieuse de prendre en charge cette patiente en raison d’une fin de séance précédente compliquée (crampes, chutes de tension artérielle, et patiente débranchée avant la fin.)
La Revue Morbi Mortalité (RMM) met également en évidence des barrières qui n’ont pas fonctionnées telles que la double vérification, le non fonctionnement de l’alarme du générateur.
La RMM a identifiée des axes d’amélioration afin d’éviter la reproductibilité de la spoliation sanguine avec la mise à jour du protocole du cathéter. Ce protocole intègrera la vérification du vissage, en supprimant les compresses autour des lignes pour une meilleure visibilité du cathéter, ajouter la double vérification de branchement du KT. L’établissement a prévu l’organisation de quick audits, la recherche d'un dispositif d'alerte de fuite sanguine concernant les cathéters mais aussi les fistules arterio veineuses afin d’éviter le risque de désertion de la ligne veineuse.

L’interview de l’établissement

Après deux mois, quel bénéfice en retirez-vous de cette analyse ? 
Cela a permis de revoir les organisations et les protocoles touchant au branchement des patients sur cathéter central. 

Dans quelles circonstances l’Annonce du dommage associé aux soins a-t-elle été faite aux proches (dialogue avec la famille, comment ont été impliqué le personnel : soins, qualité, direction…) ?
La fille de la patiente a été reçue le jour-même par un médecin et le cadre de santé. La direction a été contactée immédiatement puis à plusieurs reprises afin d’aider à l’organisation de l’annonce. La famille a été reçue par le chef de service et le cadre de santé le lendemain de l’incident afin d’avoir une explication complète des suppositions possibles d’accidents ayant entrainé cet évènement. 

Selon vous, quel rôle joue le patient dans la détection du risque de spoliation sanguine et comment est-il sensibilisé à ce risque ?
Le patient joue un rôle d’alerte. Toutefois, l’arrivée récente de cette patiente (2ème séance de dialyse) et le stress engendré par celle-ci n’a sans doute pas permis à la patiente d’alerter. 
Un atelier d’Education ETP « abord vasculaire » est déjà proposé aux patients. Toutefois l’arrivée récente ne nous a pas permis de proposer à la patiente d’intégrer le parcours ETP. Pour autant, l’ajout de la vigilance patient porteur de cathéter a été renforcé pour cet atelier.  

Quel est le ressenti de l’équipe, comment les avez-vous accompagnés ?
Un suivi psychologique a immédiatement été proposé au personnel présent lors de cet incident.
Le numéro de la cellule psychologique du SAMU leur a été communiqué. 
Deux réunions de débriefing post-incident ont été réalisées en présence du directeur médical et de la cellule psychologique du groupe. Il ressort de ces réunions un choc post-traumatique plus ou moins prononcé selon les individus. Les individus les plus touchés ont entamé un travail de soutien auprès de la cellule psychologique. L’IDE responsable de la patiente victime de l’accident a bénéficié d’un soutien immédiat et très rapproché de la responsable de la cellule psychologique de l’AURA. 

Comment avez-vous accompagnés les autres patients qui ont été témoins de l’évènement ?
L’équipe médicale et l’équipe d’encadrement ont mené un soutien individuel auprès des patients présents dans la salle au moment des faits. L’équipe de psychologues du groupe est allée proposer à chaque patient présent un suivi ponctuel afin de les aider à surmonter ce choc.

Un patient âgé entre 30 et 40 ans avec une insuffisance rénale stade 5, très angoissé mais qui a une bonne connaissance du processus d'une séance d'hémodialyse et de la manipulation d'un générateur. Il réalise sa séance d'hémodialyse sans incident. Après la restitution, il semble que le générateur soit spontanément passé en vidange alors que le patient était encore connecté ; de l'air est passé via la ligne artérielle avec symptomatologie respiratoire associant douleurs thoraciques et toux incoercible. La ligne a été rapidement clampée par le patient puis l'infirmier. Il y a une présence d'air dans la ligne artérielle Le patient a une douleur thoracique, de la toux, sans désaturation (SaO2 98% en AA), sans hypotension ni signes neurologiques. L’infirmière n’a pas pu installer le patient en déclive malgré le recours du technicien de l’atelier. Il sera mis au patient un masque haute concentration. Il sera est adressé par SAMU à un autre établissement pour caisson hyperbare. Le médecin néphrologue a appelé régulièrement le patient et a suivi ses résultats de scanner. Le patient a été accompagné et rassuré lors de son retour au sein de l’équipe. Il a poursuivi ses séances au sein du centre et iI est toujours suivi dans l'établissement.

Que retenir de l’analyse ?

L’établissement a procédé à une analyse pluridisciplinaire de l’évènement selon la méthode ALARM en présence du médecin chef de service dialyse, du médecin dialyse, de l’infirmier coordinateur, de la coordinatrice paramédicale, de l’infirmière, du pharmacien, du responsable qualité risques et en collaboration avec la STARAQS (structure régionale d’appui). L’établissement a procédé à une déclaration de matériovigilance avec étude du générateur par la société. L’établissement a mis en évidence une absence de sécurité sur le générateur nécessitant une intervention humaine de clampage des lignes avant la vidange.
L’infirmière concernée a 3 années d'expérience dans le service et maitrisait l’utilisation des générateurs. Elle a été distraite par l'important besoin de réassurance du patient.
Le jour de l’évènement, l’infirmière a pris en charge 4 patients et l’incident a eu lieu lors de la séance du dernier patient dans un contexte d’absentéisme du personnel.
L’établissement a conclu à un défaut de restitution du générateur ayant entrainé une embolie gazeuse.
La Revue Morbi Mortalité (RMM) met en évidence des barrières de sécurité qui ont fonctionnées (orientation rapide pour une prise en charge en caisson hyperbare, mise en pratique de la conduite à tenir en cas d’embolie gazeuse…) et des barrières qui n’ont pas fonctionnées (Absence de clampage manuel des lignes avant la purge du générateur)
La RMM a identifiée des axes d’amélioration telles que l’intégration du risque d’embolie gazeuse dans la formation des IDE et dans le livret d’intégration, la révision de la gestion de l’accompagnement du patient lors de la réalisation des actes techniques à risque et la réduction du parc de générateurs à 2 modèles permettant de disposer d’un secours en cas de rupture de stocks de consommables.

Un patient est déclaré mort encéphalique avec accord de la famille pour le don d’organes. La plateforme nationale de répartition des greffons (PNRG) au regard de la liste des patients en attente de greffe et de la compatibilité avec le donneur contacte chaque établissement receveur pour informer de la disponibilité d’un organe (au total 3 établissements (site A, B et C) seront concernés par ce prélèvement : une pour les reins (site A), une pour le foie (site B). Le chirurgien du site A prélèvera le rein gauche pour son site et le rein droit pour le site C. Les établissements receveur contactent à leur tour les coordinatrices du site où se trouve le donneur afin d’organiser et de coordonner leurs arrivées respectives (L’hépatologue du site B et le Néphrologue du site A.

La patiente est incisée. Le foie est prélevé par l’équipe du site B sans particularité et les deux reins prélevés par l’urologue. Les deux reins seront déposés sur des plateaux de préparation (back table) avant mise sur machine Lifeport. Deux tentatives de mise du rein gauche sur machine par le chirurgien en présence de la coordinatrice pour perfusion rénale avec échec de perfusion (capteur de pression défaillant) puis il sera mis sur la deuxième machine fonctionnelle. Les coordinatrices emmènent le rein gauche sur machine en salle de pré-anesthésie attenante. Pendant ce temps, le rein droit est laissé dans le plateaux de préparation (enveloppé dans un champ, dans de la glace), l'urologue demande un Vital Pack (sac de transport réfrigéré) pour le conditionner.

La coordinatrice constate que le Vital Pack provenant de l'hôpital A n'est pas utilisable (absence des plaques réfrigérantes). Elle sort de salle pour aller chercher un autre Vital Pack dans le bloc. 

L'urologue finit l'intervention, puis se déshabille et remplit le bordereau des greffons et sa partie du compte-rendu opératoire. Le Vital Pack n'est toujours pas disponible. La Coordinatrice retourne au bloc pour récupérer le rein droit et les IBODE n’ont pas en leur possession le rein droit. La coordinatrice va à la rencontre du chirurgien qui lui indique que le rein est resté sur la table d’instrumentation, sur le plateau de préparation. Le rein droit est retrouvé dans le conteneur DASRI, emballé dans le champ abdominal recouvert de glaçons. La Coordinatrice contacte l’ABM et le PNRG pour information sur l’incident. 13h00 Départ du rein gauche et du rein droit vers leurs sites respectifs. Le rein droit est envoyé en anatomopathologie, la greffe n’est pas possible et destruction du greffon.

Que retenir de l’analyse ?

L’établissement a procédé à une analyse pluridisciplinaire de l’évènement selon la méthode ALARM en présence de l’IDE coordinatrice du prélèvement multi organes, médecin coordonnateur du prélèvement multi organes, cadre sup du bloc opératoire, représentant de la direction qualité.
L’établissement a alerté aussitôt la plateforme nationale de répartition des greffons (informations aux équipes receveuses). Il a également procédé à une déclaration à l’agence de biomédecine (ABM). 
L’évènement s’est déroulé au bloc programmé en fin de nuit. Le chirurgien préleveur évoque une fatigue qui termine sa garde. La coordinatrice en charge du prélèvement multi organes avait une expérience récente et l’IBODE intérimaire était assistée par 2 infirmières de bloc, non formées au prélèvement multi organes.
L’établissement a conclu à des causes immédiates en lien avec le facteur humain (fatigue et défaut d’expérience) et le facteur matériel (Dysfonctionnement du Lifeport et absence de plaques eutectiques dans le vital pack de secours).
La Revue Morbi Mortalité (RMM) a mis en évidence des barrières qui n’ont pas fonctionnées en terme de prévention (la non- conformité et non-respect des règles de bonnes pratiques en matière de conditionnement des organes prélevés, la formation des professionnels à l'activité de prélèvement multi organes) et en terme de récupération (absence de communication entre les différents acteurs au sein du bloc sur la localisation de l'organe)
La RMM a identifiée plusieurs axes d’amélioration telles que des séances de formation aux IBODE, des supports validés par l'équipe d'encadrement du bloc digestif, l’installation d’une machine à glace au bloc, la réalisation d'une check list prélèvement multi organes, la rédaction d'un flyer à destination des IBO/OBODE sur la prise en charge d'un patient en vue d'un don d'organes au bloc opératoire puis mise à disposition sur la GED…
 

Une démarche de progrès

Bien que les professionnels du service d’hémodialyse soient moins confrontés à des situations d’urgence, il est primordial de veiller à ce que ces professionnels soient mis régulièrement en situation (à travers des formations) et de poursuivre les formations spécifiques à la dialyse (dialyse péritonéale, formation abords vasculaires, etc).