Un guichet unique pour le secteur des personnes confrontées à des difficultés spécifiques

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Fin 2025, l’ARS Île-de-France innove en déployant un nouveau système pour l’attribution des places en structures de soins résidentiels. L’enjeu est double : accélérer la prise en charge des besoins les plus urgents et simplifier l'envoi des demandes de prises en charge des prescripteurs vers les opérateurs.

Destinés aux personnes sans logement nécessitant un double accompagnement médical et social, le secteur des personnes confrontées à des difficultés spécifiques regroupe plusieurs dispositifs : les appartements de coordination thérapeutique (ACT), les Lits Halte Soins Santé (LHSS) et les Lits d’Accueil Médicalisés (LAM). Ces structures offrent une prise en charge transitoire, entre soins et hébergement, à des publics souvent fragilisés par la maladie, la précarité ou l’isolement.

D’ici à la fin de l’année, les demandes d’admission en ACT passeront par un guichet unique régional. Objectif : rendre plus lisible et plus équitable l’accès à ces dispositifs pour les personnes malades en situation de grande précarité. Une première en France, appelée à s’étendre dès 2026 aux LHSS et LAM.

Désengorger les files d’attente  

Jusqu’à présent, chaque prescripteur – hôpitaux, maraudes, services sociaux, – adressait leurs dossiers à tous les gestionnaires de dispositifs de soins résidentiels de la région pour maximiser les chances d’admission. Résultat : des doublons, des retards de traitement et, parfois, des incompréhensions entre structures. « Les prescripteurs envoyaient plusieurs candidatures pour un même patient, ce qui surchargeait les établissements et brouillait les parcours », constate Sara Reteri, chargée de mission “personnes confrontées à des difficultés spécifiques” à l’ARS Île-de-France. Face à une demande en forte hausse et à une offre encore contrainte – 2 625 places autorisées en région, dont 43 % d’ACT – l’Agence a choisi d’expérimenter une approche régionale, afin de fluidifier les orientations entre départements et d’offrir une réponse mieux ajustée aux besoins.

Une seule demande par usager

« Nous voulions répondre aux attentes des patients et simplifier la vie des prescripteurs, tout en gagnant en lisibilité sur les places disponibles », résume Sara Reteri. Le dispositif s’appuie sur Via Trajectoire, un outil numérique national d’aide à l’orientation déjà utilisé dans d’autres champs sanitaires. Il permettra à chaque professionnel de déposer une seule demande par usager, instruite à double lecture – médicale et sociale – avant d’être classée selon un système de priorisation, prenant en compte la gravité de la situation, l’ancienneté de la demande ou l’ancrage territorial. « Ce n’est plus le premier arrivé, premier servi, souligne Marie-Hélène Le Nédic, directrice de l’action sociale et de l’hébergement chez Emmaüs Alternatives, opérateur référent du nouveau guichet. Mais nous évaluerons les dossiers sur des critères communs afin de garantir l’équité de traitement. »

Des commissions mensuelles d’admissibilité

Fruit de trois ans et demi de travail, le guichet unique est confié à un consortium d’acteurs franciliens : Emmaüs Alternatives, Aurore, Interlogement 93, le Groupement Abri et le Groupe SOS Solidarités. Ensemble, ils assureront la lecture initiale des dossiers et la tenue des commissions mensuelles d’admissibilité, réunissant médecins et responsables de structures. L’ARS reste pilote du dispositif, tandis que les opérateurs conservent la main sur l’admission finale : chaque établissement recevra trois candidatures par place libre et devra motiver ses refus dans un délai de quinze jours.

Pour garantir la transparence, toutes les décisions seront tracées : « Chaque refus devra être justifié, chaque admission documentée », précise Marie-Hélène Le Nédic. En parallèle, le guichet unique assurera une mission d'observatoire régional des soins résidentiels analysera les profils des personnes orientées, les délais de traitement, les refus et les besoins non couverts. Une façon d’objectiver les pratiques, mais aussi de renforcer le plaidoyer en faveur de créations de nouvelles places.

ACT, puis LHSS et LAM

Le lancement se fera en deux temps : d’abord les ACT dès décembre, puis l’extension aux LHSS et LAM d’ici à la fin du premier trimestre 2026. Cette progressivité permettra de tester l’outil et de former les prescripteurs. « Nous souhaitions que Via Trajectoire atteigne sa maturité avant d’intégrer les dispositifs nécessitant une réactivité quotidienne », explique Sara Reteri. Pour les professionnels du secteur, le changement est majeur : un seul canal de dépôt, un suivi en ligne, des retours encadrés dans le temps. Pour les structures, un allègement de charge et la fin des doublons. « Et pour les usagers, il ouvre la porte à un accès plus simple et plus juste à des soins résidentiels encore trop méconnus, indique Marie-Hélène Le Nédic. Le guichet unique ne résoudra pas le manque de places, mais il permettra de mieux utiliser celles qui existent. »

Les ACT, une passerelle entre soins et logement

Apparus il y a 30 ans, les appartements de coordination thérapeutique (ACT) offrent un hébergement transitoire et un suivi médico-social à des personnes atteintes de maladies chroniques. Pionnière du dispositif, l’association BASILIADE en incarne aujourd’hui encore l’esprit d’origine : soigner, accompagner, et redonner prise sur la vie.

Créée en 1993 pour accueillir les personnes vivant avec le VIH en fin de vie, BASILIADE a su évoluer avec les besoins en transformant progressivement ses appartements relais en ACT, à Lyon et à Paris, au sein de la Maison Béranger (Paris 3), avant de s’installer à la Maison Chemin Vert, dans le 11e arrondissement de Paris, puis dans le département de l’Ain. Les appartements de coordination thérapeutique (ACT) sont venus combler un vide entre l’hôpital et le logement ordinaire. Ces structures, financées par les crédits de l’assurance maladie, ont depuis élargi leur public : au-delà du VIH, elles accueillent aujourd’hui des personnes souffrant de pathologies somatiques ou psychiatriques lourdes, en sortie d’hospitalisation ou en situation de grande précarité.

Cette structuration s’est faite en lien étroit avec la Fédération Santé Habitat, dans laquelle BASILIADE est très impliquée.

Un double regard médical et social

Le principe des ACT : offrir un hébergement temporaire assorti d’une coordination des soins et d’un accompagnement social à destination de personnes atteintes de maladies chroniques et sans solution stable. « L’idée était d’accompagner sur la durée des personnes malades mais stabilisées, pour qu’elles puissent reprendre pied dans la vie », rappelle Timothée Tallio, cheffe de service de la structure.

Aujourd’hui, la Maison Chemin Vert propose 45 places d’ACT, dont la majorité en logements diffus dans l’Est de Paris intra-muros. Les résidents – majoritairement des personnes migrantes atteintes de maladies chroniques, parfois sous dialyse – bénéficient d’un accompagnement pluridisciplinaire associant médecin, infirmières, psychologue et travailleurs sociaux. « Chaque résident a un binôme de référence, social et médical. On l’aide à comprendre sa maladie, à suivre son traitement mais aussi à faire valoir ses droits », explique Timothée Tallio.

Des trajectoires fragiles

L’objectif reste l’autonomisation, même si les sorties positives représentent un véritable challenge : deux en 2025, vers un logement Solibail et une pension de famille. « Nous relançons les démarches de sortie, mais les parcours sont fragiles : une rechute médicale peut tout remettre en cause. » L’association maintient par ailleurs un accueil inconditionnel, y compris pour les personnes étrangères malades confrontées à la perte de leur titre de séjour – un phénomène en hausse qui remet en question des années d’efforts d’insertion.

Pendant 8 ans et jusqu’à cet automne, BASILIADE a géré le guichet unique parisien des ACT, avant de passer le relais à Emmaüs Alternatives dans le cadre du nouveau système d’attribution régional. Une transition naturelle pour une structure qui a contribué, depuis trente ans, à faire reconnaître les soins résidentiels comme un levier essentiel de justice sanitaire et d’inclusion.

Le Trait d’Union, un ACT dédié aux usagers de drogue

Vingt appartements, une équipe mobile, un public très vulnérable : à Villeneuve-la-Garenne, l’ACT du Trait d’Union, porté par Oppelia, accueille des personnes usagères de drogues, malades chroniques, en situation de précarité, avec une approche qui revendique l’accueil sans condition.

L’ACT du Trait d’Union est spécialisé dans les soins résidentiels pour des personnes confrontées à une addiction. Quelle est son histoire ?

Pierre Chappard, Chef de service de l’ACT : Comme beaucoup d’ACT, le Trait d’Union a été créé dans les années 90 pour accueillir des personnes séropositives en fin de vie. Quand je suis arrivé en 2015, j’ai trouvé quelques personnes usagères de drogues parmi les résidents alors que dans d’autres structures, ces personnes étaient refusées ou invitées à faire un sevrage préalable. Ici, leur présence était tolérée. Nous avons décidé d’aller plus loin en passant de la tolérance à une véritable spécificité.

Aujourd’hui, qui sont vos résidents ? 

Ce sont des personnes très précaires, âgées de 30 à 65 ans, souvent injecteurs de Skenan ou consommateurs de crack. Nous comptons environ 20 % de femmes parmi nos résidents. Tous vivent avec une maladie chronique invalidante — VIH, hépatite C, diabète, BPCO — et beaucoup arrivent en rupture de soins après de longues années passées à la rue.  

Comment accompagnez-vous un public aussi fragilisé ?

Il faut d’abord rétablir un lien de confiance. Ces personnes ont été souvent rejetées et sont plus que méfiantes vis-à-vis des institutions. Pour ouvrir la relation autrement, nous organisons des moments communs qui sortent du cadre strict du soin, à l’instar de courts séjours collectifs. Et toute l’année, nous travaillons en aller-vers : psychologue, éducateurs et infirmières se déplacent dans les appartements. Sans cela, nous ne verrions jamais personne.

Votre positionnement sur la consommation est assez atypique. 
Ici, la consommation de drogue n’est qu’une part de leur vie, pas ce qui les définit. Ils peuvent en parler sans crainte, même si c’est un apprentissage. Ceux qui souhaitent travailler sur leur usage peuvent le faire : réduction des risques, programme d’accompagnement et d’éducation aux risques liés à l’injection (AERLI), travail sur la vape pour limiter le tabac. Pour d’autre le rapport à la drogue n'est pas une priorité, et nous orientons l’accompagnement sur les sujets qu’ils souhaitent, eux, aborder.

Au-delà de l’addiction quel accompagnement proposez-vous ?

Sur le plan de la santé, l’équipe aide les résidents à reprendre leurs traitements, à revoir des spécialistes et à comprendre les contraintes liées à leurs pathologies chroniques. C’est un accompagnement très progressif, qui reprend les bases lorsque les soins ont été interrompus pendant des années. Vient ensuite l’apprentissage du logement : cuisiner, gérer l’entretien, adapter son rythme de vie aux règles du voisinage. Après une longue période à la rue, ces gestes du quotidien doivent souvent être réappris pas à pas.

Vous acceptez aussi les cohabitations ou la présence d’un animal, ce qui demeure rare dans les ACT. 
Oui. L’isolement peut être très dur. Nous acceptons qu’un résident vive avec un ami, un compagnon ou une compagne. Nous les considérons comme des locataires, avec des droits et des devoirs comme tout le monde. Les chiens et les chats sont bien sûr également les bienvenus.

Quelle est la durée moyenne de séjour ? Y a-t-il des sorties positives ? 
Nous avons supprimé la limite de trois ans, inadaptée à ce public. Les personnes restent en moyenne entre cinq et sept ans. Cette année, deux personnes ont quitté leur ACT, vers un logement autonome et une pension de famille. Ces trajectoires montrent que, même très vulnérables, les personnes peuvent accéder à leur projet lorsqu’on leur donne du temps et un cadre adapté.