Une approche à 360° pour la lutte contre les addictions

Article

Tabac, alcool, psychotropes, jeux d’argent, protoxyde d’azote… La lutte contre toutes les dépendances constitue un enjeu de santé publique majeur et un axe important de la politique de l’ARS Île-de-France. Ses équipes structurent leurs interventions autour d’une approche globale conjuguant veille sanitaire, prévention et prise en charge des usagers.

La crise du crack au nord de Paris a remis le sujet des conduites addictives sur le devant de la scène médiatique. Porte d’entrée de nouvelles substances, lieu emblématique du milieu festif, grande accessibilité aux produits, l’Île-de-France occupe une place spécifique dans la sphère de l’addictologie. Pourtant, au regard des chiffres, les niveaux de consommations des Franciliens, et notamment des jeunes, se révèlent inférieurs à la moyenne nationale, en particulier en ce qui concerne l’alcool et le tabac. « Mais c’est aussi un territoire marqué par de grandes disparités. Dans certains d’entre eux, la consommation de produits psychoactifs est élevée et étroitement corrélée au niveau de vie, explique Jean-Baptiste Eccel, chef de projet Addictions à la direction de la Santé Publique de l’ARS Île-de-France, alors que dans d’autres on constate davantage de consommation de drogues illicites type opiacés ou usage détournés de médicaments  Là encore, ce sont les inégalités sociales qui s’expriment. » 

Pour autant, malgré ces particularités, les drogues, le tabac et l’alcool et dans une moindre mesure les addictions sans substance (jeux de hasard ou d’argent, Internet, sexe…), demeurent un problème de société et de santé publique majeur pour notre région. « C’est ce qui amène l’ARS Île-de-France à mettre en œuvre des moyens conséquents pour lutter contre toutes les dépendances. Sur ce plan, nous nous efforçons d’avoir une approche globale, qui conjugue actions territoriales et populationnelles, de même qu’une vision en termes de parcours et pas seulement par produits, résume Caroline Frizon, responsable du département Personnes en difficultés spécifiques et Addictions à la direction de la Santé Publique de l’ARS Île-de-France.

Des actions en termes de prévention

Chaque année, l’ARS Île-de-France finance de nombreux opérateurs spécialisés dans la prise en charge des conduites addictives qu’il s’agisse d’associations, d’établissements médico-sociaux ou encore d’établissements de santé. A titre d’exemple, depuis 2018, l’ARS publie un appel à projet régional dans le cadre du fonds de lutte contre les addictions (FLCA). Ce dernier rencontre un succès grandissant auprès des acteurs médico-sociaux du territoire, avec plus de cent candidatures par an. En 2024, le combat contre le tabagisme - qui demeure l’addiction la plus courante, avec 24.5% de la population consommatrice en 2022 (dernières données de Santé Publique France) - occupe une place centrale dans les priorités du programme. « Cette orientation reflète le positionnement de l’ARS », indique Jean-Baptiste Eccel. Nous menons en effet de nombreuses actions sur ce terrain, en particulier en prévention dans le milieu scolaire, à travers des programmes de développement des compétences psychosociales, mais aussi dans le cadre du mois sans tabac et via le déploiement des Espaces sans tabac, en partenariat avec la Ligue nationale contre le Cancer. « Nous accompagnons également les établissements de santé à adhérer à la charte des Lieux de santé sans tabac, poursuit Jean-Baptiste Eccel. Concrètement, cette démarche consiste à aller plus loin que la simple interdiction de fumer dans l’enceinte des établissements en mettant en place des actions – communication, sensibilisation, formation… - visant à favoriser le sevrage tabagique chez tous les acteurs et usagers du lieu, qu’ils soient professionnels, patients, bénévoles ou simples visiteurs… »

Améliorer l’offre de soins

Parallèlement à la prévention, l’ARS s’attache également à améliorer la prise en charge des dépendances à travers le soutien de projets initiés par les structures de soins. « Au total, l’Agence régionale et ses délégations départementales accompagnent près de 150 structures – établissements médicaux et médico-sociaux, acteurs associatifs…  - sur le plan juridique, financier ou fonctionnel, mais aussi en les aidant à construire des partenariats, à identifier les besoins de leur bassin de vie ou à cibler de nouveaux publics », explique Jean-Baptiste Eccel. Parmi les projets soutenus dans ce cadre, citons notamment un dispositif d’accompagnement développé par l’Hôpital Fernand Widal (75) pour les personnes alcoolodépendantes frappées de troubles cognitifs liés à l’alcool, l’Application OZ ensemble créée par l’association CaPASSCité afin de permettre aux consommateurs d’alcool de suivre leur consommation pour mieux la maîtriser ou encore l’Addictoscore, une plateforme portée par l’association APTITUD, qui permet le repérage précoce des conduites addictives en incitant les patients hospitalisés à évaluer eux-mêmes leur niveau de risque via leur téléphone mobile. 

Enfin, l’ARS exerce aussi une mission de veille. Une veille sanitaire, d’une part, pour la surveillance des accidents aigus et des surdoses, mais aussi une veille visant à détecter le plus tôt possible les tendances émergentes sur le front des drogues. « L’enjeu est ici d’améliorer le niveau d’information de l’ensemble des acteurs qui agissent dans le champ de l’addictologie afin qu’ils puissent informer les personnes prises en charge et adapter leurs dispositifs à l’évolution des besoins en Ile-de-France», conclut la responsable du département « Personnes confrontées à des difficultés spécifiques et addictions » à la direction de la Santé publique. 
 

Focus : crack, un continuum de prise en charge centré sur le parcours des usagers

Signataire du Plan Crack d’Île-de-France, l’ARS se mobilise pour accompagner les consommateurs de la rue au changement de vie, à travers plusieurs dispositifs.

Trop risqué d’en rire… L’ARS part en campagne contre le "proto"

Alors que le protoxyde d’azote connait un engouement inquiétant auprès des adolescents et des jeunes adultes, l’ARS mise sur la sensibilisation et la débanalisation à grande échelle.

Connu sous le nom de gaz hilarant, le protoxyde d’azote est un gaz utilisé dans le monde médical pour ses propriétés anesthésiantes et analgésiantes. L’usage détourné de ce produit est un phénomène identifié depuis des décennies dans le milieu festif. Ces dernières années, son usage est devenu de plus en plus fréquent chez les plus jeunes, collégiens, lycéens et étudiants, avec des consommations répétées, voire quotidiennes, au long cours et en grandes quantités. Ces pratiques entrainent parfois des conséquences non négligeables - signes neurologiques, cardio-vasculaires, manifestations psychiques, traumatismes et chutes… - avec plusieurs accidents graves recensés dans notre région.

A l’automne dernier, ce constat alarmant a convaincu l’ARS Île-de-France de se rapprocher de l’ARS Hauts-de-France pour lancer une campagne de communication conjointe qui s’est adressée en particulier aux 15-25 ans. Au-delà de la dénormalisation, cette initiative visait notamment à alerter les jeunes et leur entourage des conséquences de sa consommation, à atténuer la désidérabilité sociale de la substance et à faciliter le relai vers des professionnels susceptibles d’accompagner le décrochage.

Baptisé Le Proto, c’est trop risqué d’en rire, le dispositif comporte un kit de sensibilisation mis à la disposition des partenaires des deux agences (média, enseignants, associations, collectivités locales, établissements de santé et médico-sociaux…), trois spots audio et vidéo mettant en scène des expériences vécues ainsi qu’une vidéo pédagogique réalisée par l’animateur de télévision et vulgarisateur scientifique Jamy Gourmaud intégrée au site internet parlons-proto.fr créé dans le cadre de la campagne. Ce dernier contient également des informations sur les principaux risques liés à la consommation de protoxyde d’azote, un vrai/faux sur les idées reçues concernant l’usage détourné de ce gaz et des contacts de lieux où les consommateurs pourront trouver écoute et prise en charge.

« Sur 100 parieurs sportifs, 15 risquent de basculer dans une pratique problématique »

Psychiatre à l’Hôpital Paul Brousse et professeur d’addictologie à l’Université Paris Saclay, le Pr Laurent Karila est aussi l’animateur du podcast Addiktion consacré aux dépendances.

L'addiction aux jeux est-elle une addiction comme les autres où y a-t-il des spécificités ?

C’est une addiction comme les autres mais qui repose sur un parcours spécifique. Comme je l’écris dans mon dernier ouvrage, ce parcours du joueur addict aux jeux d’argent comporte classiquement 3 étapes successives : une phase de gain initiale qui « accroche », une phase de perte qui pousse à se « refaire » et une phase ultime de désespoir. Pour qualifier une personne addicte au jeu, il faut qu’elle réponde à la règle des 5C : la perte de Contrôle, le Craving (envie irrépressible de consommer), l'usage Compulsif, l'usage Continu malgré les Conséquences. 

Quelles sont ses conséquences pour la santé des individus ?

Les conséquences sont des troubles du sommeil, du comportement alimentaire, la consommation d’alcool, de tabac, de drogues, des complications cardiaques (infarctus). Sur le plan psychiatrique, les troubles anxieux seraient près de 4 fois plus fréquents parmi les joueurs pathologiques, le risque de trouble de l’humeur serait multiplié par 4,4 et celui d’épisode maniaque par 8,8. Il existe aussi des complications sociales (absentéisme, retard, arrêts de travail, vie de couple ou de famille altérée…), financières (emprunts, surendettement) et juridiques (arnaques, vols, usurpation d’identité). 

Quelle évolution constatez-vous ces dernières années ?

Pour ma part, je constate que les demandes de consultation augmentent. Les paris sportifs constituent la deuxième forme de jeu la plus pratiquée, derrière les jeux de loterie. Ils se sont considérablement développés en France ces dernières années, particulièrement auprès d’un public jeune vulnérable : 72 % des parieurs ont entre 18 et 35 ans. Ces joueurs proviennent souvent de milieux modestes et sont plus fréquemment chômeurs. Sur 100 parieurs sportifs, environ 15 risquent de basculer dans une pratique problématique. Le risque de jeu excessif est 5 à 6 fois plus élevé pour les parieurs sportifs. Chaque événement sportif (football, rugby, jeux olympiques) fait l’objet d’une pression publicitaire renforcée qui contribue à normaliser la pratique des paris sportifs en ligne. 

Quelle prise en charge ? 

Pour se faire accompagner dans cette pathologie, il faut consulter dans les centres d’addictologie avec un suivi médical addictologique et psychologique. L’approche préconisée est l’utilisation de la thérapie cognitive et comportementale. Elle peut se réaliser en individuel ou en groupe, sur plusieurs sessions. Le contenu des sessions est concentré sur la gestion des comportements compulsifs/impulsifs et la gestion de sa propre activité de jeu, les liens/conflits entre les pensées et les sentiments, le support social, l’affirmation de soi et la prévention de la rechute. Une fois le comportement stabilisé, une thérapie analytique peut être envisagée pour explorer ses problèmes au-delà du symptôme du jeu. Il faut aussi que les professionnels de santé prennent en charge les troubles psychiatriques et physiques associés. Les groupes d’anciens joueurs, les patients experts peuvent être d’une aide importante. Enfin, il est nécessaire de prendre également en charge l’entourage.

Quel rôle pour les pouvoirs publics dans la lutte contre ce type d’addiction ?

Il leur revient essentiellement de développer les campagnes d’information, de sensibilisation et de prévention. C’est d’ailleurs ce qu’a fait Santé Publique France avec la campagne « Parier, c’est pas rien » par exemple. Il y a aussi urgence à développer la recherche et à renforcer les équipes des structures de soins avec des professionnels formés.