Les premières expérimentations autorisées arrivent à leur terme. Sur la France entière, ce sont près de 100 expérimentations qui vont prendre fin dans les deux ans. Le dispositif article 51 prévoit la généralisation des projets ayant une évaluation externe positive.
Aujourd’hui, quelles sont les pistes de sortie pour ces parcours de santé pluri-acteurs dérogatoires au droit commun ? Qu’a prévu la législation pour pérenniser ces financements à la capitation ou au forfait prenant en charge la coordination des soins et des prestations hors panier de soins ?
L’Article 51, qu’est-ce que c’est ?
Le dispositif Article 51 vise à expérimenter des organisations innovantes faisant appel à des modes de financements et d’organisation inédits permettant de décloisonner le système de santé français et d’inciter à la coopération entre les acteurs. Ces expérimentations ont également un objectif d’efficience et de meilleure prise en compte de la prévention et de la qualité des soins.
Les expérimentations ont pour objectif d’améliorer :
- la pertinence et la qualité de la prise en charge sanitaire, sociale ou médico-sociale,
- les parcours des usagers, via notamment une meilleure coordination des acteurs,
- l’efficience du système de santé,
- l’accès aux prises en charge (de prévention, sanitaire et médico-sociales).
Les projets couvrent de nombreux domaines : santé mentale, addictions, médicaments, neurologie, périnatalité, diabète, handicap, obésité, vieillissement, etc. Au niveau national, deux tiers des expérimentations intègrent une approche de prévention.
En Île-de-France, quelles sont les expérimentations déployées ?
En région, l’Agence régionale de santé (ARS) pilote le dispositif en partenariat avec le réseau de l’Assurance maladie.
En Île-de-France, on compte 42 expérimentations Article 51 autorisées impliquant des acteurs franciliens depuis 2019, soit 30% des projets à l’échelle nationale. 75% de ces expérimentations concernent des prises en charge en ville. 300 structures sont concernées, pour 350 000 patients cibles.
En savoir plus sur les expérimentations franciliennes.
Après l’article 51, l’inscription dans le droit commun
Depuis la fin de l’année 2023, les premières expérimentations arrivent à leur terme. Il s’agit désormais de sortir du cadre expérimental et d’intégrer dans le droit commun les dispositifs qui auront démontré leur intérêt.
Après une évaluation positive, plusieurs modalités d’inscription dans le droit commun sont envisageables :
- une intégration dans le champ conventionnel, notamment lorsque l’innovation concerne des professions conventionnées avec l’Assurance maladie
- une intégration dans le champ réglementaire, à travers les arrêtés et circulaires budgétaires pour les établissements de santé ou médico-sociaux
- la définition d’un nouveau cadre pour des expérimentations impliquant plusieurs professionnels : le parcours coordonné renforcé. Celui-ci concerne deux tiers des expérimentations.
Exemple d’intégration dans le droit commun : le dispositif « Parcours des patients insuffisants cardiaques sévères »
Le conseil stratégique de l’innovation en santé a rendu un avis favorable à la généralisation de ce dispositif visant à mettre en place et évaluer une nouvelle structure de coordination pour améliorer l’accès aux soins des patients insuffisants cardiaques sévères, en expérimentation Article 51 depuis janvier 2020. En savoir plus.
Le parcours coordonné renforcé issu du Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024
Une modification du cadre législatif est nécessaire pour plus des deux tiers des expérimentations, qui ont permis la mise en place de parcours coordonnés renforcés de prise en charge mobilisant plusieurs acteurs issus de différents secteurs.
L’article 46 du Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 crée un cadre générique permettant la mise en place de parcours coordonnés renforcés, à travers un financement collectif d’une équipe pour être adaptable aux besoins des patients et pouvant se déployer entre la ville, l’hôpital et le secteur médico-social
Le « parcours coordonné renforcé » est une prise en charge collective du patient, par un ensemble de professionnels, autour d’un épisode de soins. Il met en rapport au sein d’une même équipe de soins plusieurs professionnels de santé, entre eux et avec le patient et, le cas échéant, d’autres professionnels apportant leurs soins au patient.
Les objectifs sont de :
- solidariser des acteurs autour d’un parcours de soins renforcé ville, hôpital, ESMS et faciliter la coordination.
- octroyer à de nouvelles formes de prise en charge un modèle de rémunération pérenne, comme :
- la coordination clinique des parcours
- l’accès à des prestations aujourd’hui en dehors du panier de soins et non remboursées (activité physique adaptée, diététique, psychologue, etc et réalisées par des professionnels non conventionnés
- l’aller vers dans le cadre de prises en charge de publics ciblé
Le parcours coordonné renforcé apporte donc une réponse attendue en matière d’organisation des parcours de soins et permet d’accéder à des prestations non conventionnées (psychologue, diététicien, activité physique adaptée, etc.).
Cependant, il n’a pas vocation à se substituer aux parcours et dispositifs de coordination existants, dans la mesure où le parcours coordonné renforcé vient aider à mettre en place des solutions pour les patients aujourd’hui plus difficilement pris en charge, sur un périmètre d’activités élargies.
13 expérimentations sont à ce jour entrées dans une « phase transitoire » durant laquelle le législateur fixe les modalités pratiques de leur passage à l’échelle, qui permettra à des candidats volontaires de mettre en œuvre ces nouvelles organisations.
Différents parcours coordonnés renforcés sont d’ores et déjà annoncés et font l’objet de groupes de travail au niveau national : Parcours de rééducation cardiologique en ville, Parcours de rééducation respiratoire, Prise en charge de l’obésité ; Prise en charge pédiatrique des troubles du langage et des apprentissages TSLA, Prise en charge de plaies complexes, Accompagnement des patients traités par thérapies orales en oncologie…
L’expérimentation Structure libérale légère (SLL) : une expérimentation inspirant les travaux nationaux relatifs aux « parcours de rééducation cardiaque en ville »
L’expérimentation SLL, encore en cours d’expérimentation, a pour objet de proposer une réhabilitation cardiaque pluri-professionnelle en milieu libéral, en lien avec le médecin traitant et les établissements de santé. L’expérimentation permet de tester un modèle d’organisation libérale alternative au Soin Médical et de Réadaptation pour la rééducation des patients coronariens et insuffisants cardiaques, à proximité de leur domicile.
Echanges avec le Dr Dany Michel Marcadet du Centre Cœur et Santé Bernoulli.
Organisation professionnelle : comment ont évolué les relations entre les médecins cardiologues et les autres professionnels impliqués dans le parcours SLL (kiné, APA, infirmière, diet, psy) au cours de cette expérimentation ?
Sur Paris, 31 personnes sont impliquées. L’enthousiasme des équipes soignantes pour cette nouvelle forme d’exercice de la médecine est très significatif, rendant les SLL très attractifs pour les jeunes cardiologues qui observent avec intérêt cette expérimentation.
L’expérimentation nous a permis de définir un parcours patient optimal ou chacun à sa place. Ce modèle intéresse beaucoup les acteurs de santé, médecins, paramédicaux (IDE, IPA, kiné), mais aussi les enseignants en activité physique adaptée, les diététiciens et psychologues, car chacun à la sensation de faire partie d’une équipe et de travailler en sécurité. Certes les médecins restent des référents, mais les IPA ont pu trouver la place correspondant à ce qu’elles attendaient après leur formation.
Ce type de structure est particulièrement un plus pour les patients insuffisants cardiaques, permettant la titration des médicaments et l’optimisation thérapeutique, les ateliers, le réentrainement à l’effort en sécurité et dans un temps rapide, ce qui est un enjeu majeur au vu de la gravité de cette maladie et de sa fréquence. Nous réalisons aussi, à travers cette expérience, que ce concept convient beaucoup mieux aux femmes qui sont habituellement moins adhérentes aux programmes de réadaptation classique.
Nous sommes persuadés que les SLL ont leur place sur le territoire à côté des SMR classiques et des autres expérimentations de télé-réadaptation. Une journée de travail sur la « filière cardiologique » en a rendu compte, précisant les articulations entre les différentes expérimentations. Nous attendons avec impatience le rapport final qui va, nous en sommes convaincus, démontrer que nous avons répondu au cahier des charges. C’est à dire offrir aux patients qui ne bénéficiait pas d’une réadaptation après un syndrome coronaire aigu ou dans le cadre d’une pathologie cardiaque chronique, la possibilité de se réadapter et d’améliorer ainsi leur qualité de vie et leur pronostic.
Votre projet aurait-il pu voir le jour sans cette expérimentation ? Quels enseignements en tirez-vous ? En quoi ce modèle pourrait être utile pour la prise en charge d’autres pathologies chroniques ?
Nous pensons que ce projet aurait pu se faire sans l’expérimentation, mais au détriment de l’accès au soin, car nous aurions été obligés de demander aux patients de payer pour les activités non remboursées (APA, Diète Psy ETP).
Le nombre d’inclusions en augmentation croissante et la demande des prescripteurs toujours plus forte nous incitent à croire que ce modèle (au moins pour les zones urbaines) correspond bien à ce qu’attendaient les patients, mais aussi les professionnels de santé.
Le travail en équipe, le partage des compétences et des tâches « comme à l’hôpital » attirent de nombreux médecins et paramédicaux qui n’ont pas du tout envie de s’installer en cabinet comme autrefois. Il est évident que ce modèle peut convenir à d’autres spécialités comme la pneumologie, le diabète et l’obésité, la psychiatrie et autres maladies chroniques vu le nombre d’acteurs de ces disciplines qui nous appellent pour venir visiter et envisagent de créer des structures identiques.
Comment s’intègre le parcours SLL dans le parcours du patient ? Quels sont les patients qui ont intégré le SLL ? Ces patients auraient-ils bénéficié de réadaptation cardiaque si l’expérimentation n’avait pas été autorisée ?
Les patients sont adressés dans la majorité des cas au décours de leur hospitalisation dans une structure aiguë. On note une nette modification de la provenance des patients par rapport au début de l’expérimentation. La majorité des patients proviennent des hôpitaux parisiens ou des établissements privés à but non lucratif et même si la proportion importante des cardiologues de ville persiste, elle est devenue proportionnellement moins importante.
Notre impression est que la majeure partie des patients qui ont été adressés ne serait pas allés dans les Services Médicaux et de Réadaptation (SMR) hospitaliers classiques et donc n’aurait pas eu de réadaptation (c’était l’un des objectifs du cahier des charges). Certains, initialement adressés dans des SMR, sont sortis précocement pour venir chez nous sur les conseils de leur cardiologue ou d’amis ayant bénéficié de notre prestation.
On constate également qu’au début de l’expérimentation, nous avions essentiellement des patients coronariens en post SCA et que progressivement, nous avons une proportion de plus en plus importante de post-chirurgie et d’insuffisants cardiaques (IC). Dans les SMR on compte moins de 10 % d’insuffisants cardiaques et parfois moins. Nous avons actuellement 30 % d’IC parfois très sévère et nous travaillons avec les CECICS de Bichat et Lariboisière quand parfois les patients ont besoin de traitements spécifiques (injection de fer par exemple).
Chirurgie cardiaque | 19% |
Insuffisance cardiaque | 29% |
Insuffisance cardiaque | 72% |
La répartition des patients est la suivante : 65,5% d’hommes et 35,5% de femmes. Le nombre de femmes qui adhère à ce programme et bien plus important qu’en SMR classique.
L’autonomie des patients et leur situation géographique semblent être le seul frein à l’utilisation des SLL.
L’expérimentation SLL se termine le 31 juillet 2024, les Comité Technique et Conseil Stratégique de l’Innovation en santé rendront leurs avis respectifs sur l’opportunité de généraliser cette expérimentation lors de la remise du rapport final d’évaluation en amont.
Pour plus d’information sur le modèle SLL : vous pouvez consulter le cahier des charges et l’Avis CTIS de l’expérimentation sur le site du Ministère de la Santé et de la Prévention.