De la place au parcours : mieux accompagner les enfants en situation de handicap

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Inspirée par une longue expérimentation conduite en Seine-et-Marne, l’ARS Île-de-France engage une refonte de fond de son offre médico-sociale pour les enfants. Au programme : des plateformes territorialisées et un accompagnement personnalisé et modulable.

Les méthodes d’éducation ont changé, la prise en compte des besoins des enfants a changé, le regard porté sur le handicap aussi. Mais une chose, elle, n’a guère évolué depuis la création des établissements médico-sociaux pour enfants en situation de handicap : leur organisation demeure régie par une logique de places. « Les enfants et leurs familles, eux, sont confrontés à un parcours imposé et rigide bien loin des attentes légitimes, indique Stéphanie Talbot, directrice de l’autonomie de l’ARS Île-de-France. Les établissements où sont accueillis les enfants – IME, ITEP, CAMSP, CMPP, notamment – et les services d’accompagnement à domicile comme les SESSAD sont comme deux voies distinctes entre lesquelles les passerelles sont rares et sans retour possible. »

Une lente évolution

Face à ce constat, les volontés de faire autrement se sont peu à peu imposées, jusqu’au plus haut niveau de l’État. En 2016, la Conférence nationale du handicap posait les bases d’une transformation en profondeur du médico-social. L’année suivante, une circulaire invitait les Agences régionales de santé à s’engager dans cette refonte, en rapprochant les établissements et les services pour mieux adapter l’accompagnement à l’évolution des enfants. Depuis, plusieurs dispositifs ont vu le jour, comme les DITEP, associant accueil en établissement et suivi à domicile, ou plus récemment le plan national « 50 000 solutions » prolongé par le plan Inclus’IF en Île-de-France. « Mais sur le terrain, les cadres juridiques sont restés flous et les avancées inégales d’un territoire à l’autre », ajoute Stéphanie Talbot.

Une expérimentation pionnière en Seine-et-Marne

Un territoire, lui, a décidé de passer à l’action sans attendre l’évolution des textes réglementaires. Plus vaste département d’Île-de-France, la Seine-et-Marne a en effet engagé il y a près de dix ans une transformation en profondeur de son offre médico-sociale pour les enfants afin de pallier les fortes disparités et le sous-équipement chronique. « Concrètement, l’expérimentation portait sur la mise en place d’une nouvelle organisation qui soit à la fois territorialisée et centrée sur les besoins réels des enfants et de leurs familles », résume Stéphanie Talbot. Soutenue par une gouvernance partagée entre ARS, MDPH, Éducation nationale, organismes gestionnaires et familles, cette démarche s’est d’abord traduite par un passage en plateforme. 

Des plateformes pour des parcours sans rupture

Ainsi, les établissements ou services médico-sociaux proposent désormais l’ensemble des modalités d’accueil – accompagnement ambulatoire, séquentiel, en établissement – ce qui permet d’ajuster l’accompagnement au fur et à mesure que les enfants grandissent sans rupture de parcours. En outre, chaque plateforme agit sur un périmètre donné avec une responsabilité populationnelle, c’est-à-dire qu’elle doit répondre en premier recours aux besoins des enfants de son territoire, « une véritable avancée pour les parents qui devaient parfois aller très loin pour trouver des solutions d’accueil, condamnant ainsi leurs enfants à passer toute la semaine loin d’eux et de leur environnement ordinaire. » Par ailleurs, les déficiences ont été regroupées en quatre grandes familles, chacune structurée en parcours, de sorte que chaque territoire dispose d’une plateforme par parcours. « Aujourd’hui, 25 plateformes sont actives en Seine-et-Marne et les bénéfices sont au rendez-vous, poursuit Stéphanie Talbot. Les délais d’attente pour accéder à un accompagnement sont réduits, les enfants sont pris en charge plus tôt et les familles bénéficient de modalités d’accueil plus souples et plus près de chez elles. »

Vers une généralisation

Forte de cette réussite, l’ARS Île-de-France a choisi d’étendre cette approche à l’ensemble des départements franciliens. « L’objectif est de transformer progressivement toutes les structures pour qu’elles deviennent, à leur tour, des plateformes territorialisées, capables de proposer une réponse modulable et personnalisée à chaque enfant », explique Stéphanie Talbot. Des ateliers vont être organisés par les délégations départementales pour accompagner les organismes gestionnaires dans cette évolution, en lien étroit avec les MDPH, l’Éducation nationale et les collectivités. La démarche sera soutenue par un programme d’accompagnement et de formation porté par le CREAI et la FASA, un organisme de formation pour les professionnels créé par des organismes gestionnaires de Seine-et-Marne, département pionnier. 
« Ce travail autour de l’enfance constitue une première étape, précise Stéphanie Talbot en conclusion. L’objectif est à terme de généraliser cette logique de parcours à l’ensemble du secteur médico-social. »


Focus 1

« Redonner un pouvoir d’agir »

A Meaux, l’EPMS de l’Ourcq propose depuis bientôt 6 ans une large gamme de prestations d'accompagnement individuelles et coordonnées, en établissement comme en milieu ordinaire. L’éclairage de sa directrice, Oumou Keita.

Qu’est-ce qui a conduit l’EPMS de l’Ourcq à s’engager dans la transformation de son offre ?
Nous avons répondu en 2018 à un appel à manifestation d’intérêt de l’ARS Île-de-France pour repenser l’offre autour des besoins réels des enfants de l'ensemble du secteur de Meaux. Nous avons voulu décloisonner les dispositifs pour proposer des accompagnements plus souples. L’objectif est de favoriser l’inclusion en milieu ordinaire, mais aussi de redonner un pouvoir d’agir aux jeunes et à leurs familles. Nous voulons qu’ils soient acteurs de leur parcours, à l’intérieur comme à l’extérieur de nos murs.

Aujourd’hui que propose l’EPMS de l’Ourcq ?
Centrée sur les troubles du neurodéveloppement, notre plateforme accompagne 267 enfants et adolescents de moins de 20 ans, ainsi que 44 adultes accueillis en journée. Elle se compose de dispositifs d’accueil de jour couvrant toutes les tranches d’âge, d’unités d’enseignement mobiles en maternelle et en élémentaire, d’un dispositif d’autorégulation implanté dans une école, d’équipes mobiles d’appui à la scolarisation et de trois pôles d’appui à la scolarité expérimentés, pionniers en Île-de-France. Ce large éventail, qui s’étoffe chaque année, permet d’accompagner les enfants de la toute petite enfance à l’accès à la vie professionnelle, avec des solutions modulables : à domicile, en accueil de jour ou ponctuellement en hébergement.

Quels bénéfices pour les enfants et leurs familles ?
La première avancée, c’est la souplesse. Nous pouvons désormais ajuster les réponses en fonction de chaque situation : un enfant peut être accompagné en milieu ordinaire tout en venant ponctuellement en accueil de jour, ou bénéficier d’un hébergement temporaire quand la famille en a besoin. Les enfants sont pris en charge plus tôt, les délais d’attente ont nettement diminué et les familles trouvent sur leur territoire des solutions adaptées, sans avoir à parcourir des dizaines de kilomètres. Cette ouverture profite aussi aux écoles du territoire, qui montent en compétence et changent leur regard sur le handicap.

Quels défis avez-vous dû relever au cours de cette transformation ?
Le principal défi a été d’accompagner le changement en interne. Les 188 professionnels de l’établissement ont dû se former à de nouvelles pratiques et s’approprier une culture commune de l’inclusion. Cela n’a pas toujours été simple, mais beaucoup ont rapidement perçu les bénéfices de cette approche plus ouverte et collaborative. Nous avons aussi rencontré des difficultés de recrutement sur certains postes spécialisés et manquons encore d’outils adaptés pour suivre notre activité. Malgré cela, la dynamique est très positive et nous poursuivons aujourd’hui notre évolution avec de nouveaux projets, comme la création d’une école maternelle inclusive à Villenoy et notre futur déménagement à Mareuil-lès-Meaux, au cœur de notre zone d’intervention prioritaire.


Focus 2 

Témoignages de parents

Camille MARTIN

« La plateforme apporte une réponse aux besoins spécifiques de ma fille et lui offre la possibilité d’un parcours « sur mesure ». Olivia n’est pas enfermée dans un système, bien au contraire, elle peut bénéficier des apprentissages adaptés à ses capacités, en établissement, tout en ayant l’opportunité d’assister à des activités en milieu ordinaire et de côtoyer ses pairs. Un équilibre vertueux se crée dans ces échanges entre les deux milieux : Olivia est stimulée et ses camarades ont la possibilité d’appréhender la différence sans la craindre. L’environnement d’Olivia s’est enfin adapté à elle : elle est entendue dans ses besoins et son potentiel est exploité à sa juste mesure. Par ailleurs, une communication plus pertinente, et intuitive, s’est installée entre elle et tout son bassin de vie grâce aux outils mis en place et diffusés par l’établissement auprès de ses différents interlocuteurs. Olivia est pleinement épanouie. »

Virginie Kersemacker 

« La plateforme a profondément changé le quotidien de Maxime et de notre famille. Grâce à la coordination entre l’école, le PMS et les équipes éducatives, il bénéficie d’un accompagnement réellement ajusté sur ses besoins. Les éducatrices interviennent aussi bien en classe qu’à domicile : elles aident les enseignants à mieux comprendre son fonctionnement, l’accompagnent dans l’apprentissage de la communication par pictogrammes et l’encouragent à gagner en autonomie, y compris dans les gestes simples du quotidien, comme la douche ou les courses, qui étaient jusque-là des moments très difficiles. Ce suivi attentif a permis à Maxime de grandir et de progresser dans un cadre apaisé. Pour nous, parents, c’est un soutien indispensable : nous sommes guidés, entendus, et surtout jamais laissés seuls face aux difficultés. »