Polluants organiques persistants dans les œufs de poulaillers domestiques : ce qu’il faut savoir

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Après une étude sur les teneurs en polluants organiques persistants dans 25 poulaillers domestiques d’Île-de-France, l’ARS préconise de ne plus consommer les œufs et produits animaux de production domestique non contrôlée, sur l’ensemble de la région francilienne. Retrouvez sur cette page toutes les informations à savoir sur cette alerte.

Il s’agit d’un engagement de l’ARS pris en février 2022 à la suite de la publication de l’étude menée par l’ONG Toxicowatch ayant mis en évidence la contamination des œufs de poulaillers domestiques par trois familles de polluants organiques persistants (POP) : les dioxines (PCDD), les furanes (PCDF) et les polychlorobiphényles (PCB). L’ARS avait alors émis une recommandation de non-consommation des œufs pour les communes concernées par cette première étude : Paris XII et Paris XIII, Ivry, Alfortville et Charenton.

Dans un contexte de développement des élevages de poules en ville (jardins collectifs, poulaillers pédagogiques dans les écoles, engouement des particuliers disposant d’un jardin privatif, intérêt pour le « recyclage » des déchets de la cuisine, autoproduction, circuits courts…), l’ARS Île-de-France a souhaité mener une nouvelle étude dont la finalité était de déterminer s’il existe un risque de surexposition à certaines familles de polluants organiques persistants lié à la consommation d’œufs d’élevages domestiques nécessitant des mesures de gestion sanitaire.

L’étude réalisée par l’Agence porte sur 25 sites volontaires, dont 14 situés à proximité des trois principaux incinérateurs de déchets autour de Paris (Ivry-sur-Seine, Issy-Les-Moulineaux, Saint-Ouen) et 11 qui en sont éloignés.

Cette étude ne concerne pas les productions d’œufs intégrés à une filière commerciale, qui font l’objet de contrôles prévus réglementairement.

Les résultats de l’étude menée par l’Agence mettent en évidence une contamination de l’ensemble des prélèvements par les trois familles de polluants organiques persistants analysées (dioxines, furanes et PCB), signifiant que ces trois familles de polluants organiques persistants (POP) sont présentes dans tout l’environnement urbain, et non pas spécifiquement aux abords des incinérateurs.

Parmi les 25 sites analysés :

  • 21 échantillons dépassent le seuil réglementaire en dioxines, furanes et PCB qui s’applique aux œufs commercialisés,
  • deux présentent des teneurs particulièrement élevées en PCB dans les œufs (40 à 50 fois les seuils réglementaires européens pour les œufs commercialisés). Les propriétaires des deux poulaillers ont été informés, en leur recommandant de ne plus consommer leurs œufs.

A ce stade, l’ARS recommande de ne pas consommer les œufs et produits avicoles de production domestique non contrôlée. En effet l’élevage de poules en poulailler domestique se fait généralement sur le sol nu, les poules évoluant sur un parcours d’accès au sol où elles vont picorer et notamment consommer des vers et larves présents dans les sols. Elles vont ainsi concentrer ces polluants dans leurs tissus graisseux et les transférer dans leurs œufs (un œuf de poule comporte 10% de matière grasse environ). La consommation régulière de ces œufs peut conduire à une surexposition par rapport à la population générale (qui elle-même se contamine via son alimentation et plus particulièrement par certains produits d’origine animale : beurre, fromage, œufs, poissons, crustacés).

L’interprétation des résultats est toujours en cours pour analyser les niveaux de contamination relevés en fonction des éléments de contexte environnemental et des pratiques d’élevage. Le rapport complet de l’étude sera rendu public à la fin du premier semestre 2023.

Parmi les POP, on distingue différentes familles de composés dont les dioxines (PCDD), les furanes (PCDF) et les polychlorobiphényles (PCB).

  • Les dioxines et furanes sont des sous-produits indésirables de la combustion des déchets (incinération des ordures ménagères, brûlage de déchets verts…) et de certains procédés industriels (blanchiment des pâtes à papier par exemple). Leur présence dans l’environnement est donc principalement liée aux rejets passés ou actuels des incinérateurs et de quelques industries. Les émissions de ces molécules, liées aux activités autorisées d’incinération, dans l’atmosphère ont fortement réduit au cours des dernières décennies avec la mise en place de procédés de traitement de plus en plus efficace.
  • Les PCB sont une famille de molécules chimiques de synthèse, massivement utilisée au cours du 20ème siècle pour de multiples usages en raison de leurs propriétés physico-chimiques (lubrifiant, isolant). Leur production et leur utilisation est totalement interdite depuis 1987. Leur présence dans l’environnement est principalement due aux anciens usages en milieu urbain (adhésifs, huiles, peintures…) et à des pollutions accidentelles et localisées (par exemple une fuite d’huile dans les transformateurs électriques où le pyralène était utilisé comme isolant électrique).

Les POP ont une durée de vie longue dans l’environnement et y restent présents plusieurs décennies après l’arrêt complet des émissions. Ils sont lipophiles et se concentrent donc dans les tissus adipeux des organismes vivants, et s’accumulent tout au long de la chaine alimentaire. Les dioxines, furanes et PCB présentent une grande stabilité à la chaleur, sont peu biodégradables et ont une forte affinité pour les graisses. Ces molécules vont s'accumuler après ingestion dans les tissus graisseux contaminant ainsi les viandes, les poissons, les crustacés, le lait et les produits laitiers et les œufs riches en graisse. L'alimentation constitue donc la principale voie d'exposition pour la population générale.

Rappelons que l’alimentation constitue la principale source d’exposition humaine (plus de 90% de l’exposition totale). Les aliments dans lesquels ils sont le plus présents sont les produits d’origine animale, et notamment le beurre, les fromages, les œufs, certains poissons et crustacés.

La consommation régulière des œufs de poules élevées sur des sols contaminés entraine un risque de surexposition à ces polluants.

La consommation régulière d’aliments contaminés par des dioxines, furanes et PCB entraîne une imprégnation progressive de l’organisme qui peut avoir des effets sur la santé à long terme, comme une augmentation du risque de cancer, de troubles de la fertilité et de la grossesse, d’effets métaboliques comme le diabète par exemple et des effets perturbateurs endocriniens. Il n’existe aucun traitement pour éliminer ces substances de l’organisme. La principale mesure de prévention consiste à éviter la consommation de produits alimentaires les plus contaminés.

L’étude de l’ARS ne porte que sur les poulaillers non professionnels, chez des particuliers, des jardins collectifs ou des fermes pédagogiques. La recommandation de l’ARS ne concerne donc que ces types de poulaillers pour lesquels les pratiques d’élevage peuvent être très diverses, l’alimentation des poules plus ou moins équilibrée (conduisant alors les poules à rechercher plus systématiquement dans le sol le complément de leur alimentation) et les contaminations des sols également très diverses. Les poules sont généralement conservées plus longtemps que dans un élevage professionnel cherchant à optimiser son rendement. L’accumulation des polluants organiques persistants augmente avec la durée d’exposition. Ainsi, une poule présente depuis de plusieurs années dans le poulailler a plus de risque d’être contaminée qu’une poule présente depuis quelques mois.

Les œufs commercialisés font l’objet de contrôles du respect de la réglementation européenne portant sur les denrées alimentaires. Les conditions d’élevage professionnel permettent également de mieux maitriser les expositions des volailles.

L’exposition humaine se fait très majoritairement (>90%) par l’alimentation et plus particulièrement la consommation de produits d’origine animale (fromage, beurre, poisson, crustacés et les œufs). Il est également préconisé de ne pas consommer la chair des poules et poulets élevés sur un sol nu dans un élevage domestique.

Les cultures potagères sur des sols contaminés sont nettement moins à risque même s’il ne peut pas être exclu que certains légumes captent ces molécules. Mais cette part reste très inférieure à celle absorbée par les produits d’origine animale. D’une manière générale les légumes contribuent à seulement 0,1% de l’exposition alimentaire (adultes et enfants).

D’une manière générale les POP sont très stables dans les sols. Cette pollution est donc installée pour longtemps et il n’existe pas de technique pour les éliminer (hormis remplacer la terre contaminée). Les pollutions des sols mises en évidence aujourd’hui sont l’héritage de décennies de dépôt de ces polluants rejetés dans l’atmosphère ou diffusant de matériaux se dégradant au fil du temps.

Paris et sa petite couronne sont marqués par une forte densité urbaine et l’imbrication des zones d’activités et des secteurs résidentiels. L’usage des PCB a été massif entre les années 1930 et 1970, notamment en milieu urbain pour les peintures des bâtiments et les infrastructures urbaines. Les émissions de dioxines et furanes liés à l’incinération des déchets et de certaines activités humaines étaient plus importantes et moins contrôlées avant les premières réglementations encadrant l’activité des installations classées pour la protection de l’environnement. L’organisation urbaine évoluant constamment, elle a conduit à des remaniements multiples des sols (excavations et remblais) pouvant déplacer la pollution. Ces différents éléments font de Paris et sa petite couronne un territoire plus susceptible de présenter des sols contaminés par ces polluants. Les centres urbains de grande couronne présentent des caractéristiques plus ou moins similaires.

Les zones rurales ne sont pas épargnées par les dépôts de ces polluants dans les sols liés à l’incinération, au brûlage à l’air libre et aux usages anciens des PCB. C’est pourquoi la recommandation s’applique à toute l’Île-de-France même si la contamination en milieu rural est probablement plus diffuse et moins systématique qu’en milieu urbain.

L’étude menée par l’ARS comporte des sites situés sous l’aire d’influence des rejets d’incinérateur (estimée à 3km de rayon autour des incinérateurs) avec des sites situés hors de ces zones d’influence.

Les résultats ne montrent pas de différences significatives entre les points autour des incinérateurs et les points témoins. On peut trouver des valeurs basses à proximité des incinérateurs et des valeurs hautes dans les points témoins.

L'étude menée par l'ARS ne permet pas d'établir l'origine des pollutions historiques des sols prélevés.

La combustion des déchets produit des dioxines et furanes et peut produire des PCB s’ils sont présents dans les déchets incinérés.

Les incinérateurs de déchets sont des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) qui sont soumises aux règles du code de l’environnement.

Une surveillance leur est imposée notamment pour les dioxines et furanes. La réglementation a évolué depuis le milieu des années 80, conduisant à réduire très significativement les rejets actuels de dioxines et furanes par ces incinérateurs.

Airparif a publié en août 2018 une étude sur les dioxines dans l’air francilien. Cette étude a relevé des teneurs en dioxines et furanes à proximité des centres d’incinération comparables à celles observées en milieu urbain.

En outre, la voie d’exposition par inhalation est jugée très marginale par rapport à la voie par ingestion, liée à l’alimentation et plus particulièrement la consommation de certains produits d’origine animale.

L’analyse des polluants organiques persistants sur les matrices « œufs » est réalisé par quelques laboratoires spécialisés dans l’analyse des denrées alimentaires.

Le LABERCA, Laboratoire National de Référence (LNR) pour les POPs (polluants organiques persistants) dans les denrées alimentaires, a effectué la campagne de mesure des dioxines, furanes et PCB sur des œufs et sols provenant de poulaillers familiaux franciliens dans le cadre de l’étude menée par l’ARS. L'intervention du LNR se limite aux sollicitations des services de l’Etat.

Le ministère de l’agriculture tient à jour un annuaire des laboratoires officiels et reconnus en alimentation. Sans exhaustivité, vous pouvez vous rapprocher des laboratoires suivants :
- LEAV (https://laboratoire.vendee.fr/),
- LDA26 ( https://www.ladromelaboratoire.fr/),
- CARSO (https://www.groupecarso.com/).

Le coût unitaire de l’analyse est de l’ordre de 400 euros.

L’étude menée par l’ARS comprend un volet visant à identifier les facteurs environnementaux et les pratiques d’élevage pouvant aggraver l’exposition des poules ou au contraire la réduire.

Ce volet est en cours de réalisation et fera l’objet d’un chapitre dans le rapport final de l’étude, dont la publication est prévue avant la fin du 1er semestre 2023.

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